31/12/2011

Roberto Succo, l'inspirateur (4)

4 - La pièce de théâtre de Bernard-Marie Koltès : Roberto Zucco

Roberto Zucco suivi de Tabataba - Coco
de Bernard-Marie Koltès
Parution : 30 Novembre 1999, Les Éditions de Minuit

Résumé de la pièce  

Roberto Zucco, dangereux criminel qui vient de tuer son père, s'évade le soir même de son arrestation. Débute alors une cavale jalonnée de meurtres, à commencer par celui de sa mère, et de rencontres dont la plus importante est celle de la Gamine, qu'il viole et qui, pourtant, s'éprend de lui. Mais Zucco l'abandonne car il s'enfuit toujours, qu’il traverse le quartier mal famé du Petit Chicago où il assassine un inspecteur ou qu’il se retrouve dans un square où, après une prise d'otages, il tue un jeune garçon. Pendant que les meurtres s'enchaînent, la Gamine entreprend tout ce qu'elle peut pour le revoir et n'hésite pas à le dénoncer à la police. Elle sera donc l'agent de la chute de Zucco et causera son arrestation. Mais une fois encore, à peine arrêté, Zucco s'évade puis disparaît, englouti dans une tempête solaire apocalyptique.

Roberto Zucco est la dernière œuvre de Bernard-Marie Koltès. Il l’écrit en 1988 alors qu’il se sait condamner par la maladie (Il mourra quelques mois après).
La pièce reprend les grands thèmes du parcours meurtrier de Succo, et les sublime par la poésie, l’empreinte du lyrisme et le réalisme froid caractéristique de la plume de l’auteur. La façon dont Koltès traite le fait divers s’éloigne de la réalité et lui donne même une dimension quasi surnaturelle.
Koltès fait de son personnage quelqu’un d’irresponsable incapable de déterminer ce qui le pousse à agir. Il n’est ainsi pas présenté comme un héros condamnable.
Contrairement au livre de Pascale Froment, au film de Cédric Kahn ou à la bande dessinée de Ilaria Trondoli, la pièce n’est donc pas une chronique réaliste de la vie de Roberto Succo. Koltès s’intéresse davantage à la légende qui s’attache au personnage. D’ailleurs il a transformé le nom de Succo en Zucco pour signifier que son personnage est l’homme qui zigzague hors de la réalité et rejoint le mythe.


La pièce a été montée pour la première fois en 1990 par Peter Stein, à Berlin, un an après la mort de Koltès.
En France, elle est créée en novembre 1991 par Bruno Boëglin dans une scénographie de Christian Fenouillat au TNP de Villeurbanne où elle est bien accueillie par le public.

"Je crois que Koltès n'a pas eu le temps de finir "Zucco". Il aurait sans doute revu cette pièce, il y a une sorte de désordre qu'il aurait ménagé. Elle a été écrite dans l'urgence, "juste avant de mourir", et par la voix de Zucco qui va mourir aussi, c'est souvent Koltès qui parle. Il y a un sentiment d'urgence très fort : il faut la jouer, disait-il, comme pris d'une formidable envie de pisser et par conséquent quitter la scène le plus vite possible."
Bruno Boëglin

La pièce de Boëglin entame ensuite une tournée française mais à Chambéry où ont été commis quatre des crimes de Succo, le scandale éclate et les représentations sont interdites. Un article du Monde daté du 9 janvier 1992, en fait l’historique :





Les mises en scènes se succèderont sans discontinuer, dans différents pays. Roberto Zucco restant à ce jour la pièce de Koltès la plus montée.

Bernard-Marie Koltès parle de Roberto Zucco

Extraits d’entretiens réunis dans Une part de ma vie, entretiens (1983-1989), Editions de Minuit. 2010, première publication : 1999 :


En février de cette année-là (1988 ), j'ai vu placardé dans le métro l'avis de recherche de l'assassin du policier. J'étais fasciné par la photo du visage. Quelque temps après je vois à la télévision le même garçon, qui, à peine emprisonné, s'échappait des mains des gardiens et défiait le monde… Alors je me suis très sérieusement intéressé à l’histoire. Son nom était Roberto Succo ; Il avait tué ses parents à l’âge de quinze ans, puis redevenu « raisonnable » jusqu’à vingt-cinq ans, brusquement il déraille une nouvelle fois, tue un policier, fait une cavale de plusieurs mois, avec prise d’otages, meurtres, disparitions dans la nature, sans que personne ne sache qui c’était exactement. Puis, après son spectacle sur les toits, il est enfermé à l'hôpital psychiatrique et se suicide de la même manière qu'il avait tué son père(...) Un trajet invraisemblable, un personnage mythique, un héros, comme Samson ou Goliath, monstres de force, finalement abattus par un caillou ou par une femme (...)
Entretien avec Colette Godard, Le Monde 28 septembre 1988


Dans vos pièces, on tue et on meurt.
Dans ma prochaine pièce, il y a encore davantage de morts.
De quoi s’agit-il ?
C’est la première fois que j’écris une pièce sur un destin réel : le destin de l’homme dont la photo se trouve au-dessus de mon bureau (…) Cet homme tuait sans aucune raison. Et c’est pour cela que, pour moi, c’est un héros. Il est tout à fait conforme à l’homme de notre siècle, peut-être même aussi à l’homme des siècles précédents. Il est le prototype même de l’homme qui tue sans raison. Et la manière dont il perpétue ses meurtres nous fait retrouver les grands mythes, comme par exemple le mythe de Samson et Dalila. Cet assassin qui est au centre de ma nouvelle pièce, a été trahi par une femme, comme Dalila qui coupa les cheveux de Samson, le privant ainsi de sa force.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans les figures mythiques ?
Je dirai que, ce qui distingue un homme comme Samson du commun des mortels, ce n’est pas tant une quelconque mission, une quelconque tâche, c’est sa force extraordinaire et le regard admiratif que les autres portent sur lui ; c’est cela qui fait de lui un héros (…)
Vous sentez-vous proche de cet homme ?
Oui.
Dans votre dernière pièce vous vous inspirez d’une biographie réelle.
Je ne savais pas grand chose de cet homme, j’avais quatre articles de journaux. Je n’ai pas fait de recherches. Pour moi, c’est un mythe et cela doit rester un mythe.
Entretien avec Matthias Matussek et Nikolaus von Festenberg, Der Spiegel, 24 octobre 1988


« À 14 ans, Roberto a tué son père et sa mère, sans motivation. Il a été interné en hôpital psychiatrique, et il a été tellement sage qu’on l’a relâché. À 24 ans, ça a déraillé une nouvelle fois, et à nouveau il a tué, sans motif. Quand on l’a arrêté, il était dans la rue, des flics sont arrivés vers lui, ils ne pensaient même pas que c’était Roberto Succo, parce qu’il était en cavale. Ils lui ont dit : « Qui êtes-vous ? » et il a répondu : « Je suis un tueur, mon métier c’est de tuer les gens. » Il a fini par se suicider dans sa cellule de prison, en s’asphyxiant avec un sac en plastique – exactement comme il l’avait fait pour tuer son père. Succo a une trajectoire d’une pureté incroyable. Contrairement aux tueurs en puissance – et il y en a beaucoup –, il n’a pas de motivations répugnantes pour le meurtre, qui est chez lui un non-sens. Il suffit d’un petit déraillement, d’une chose qui est un peu comme l’épilepsie chez Dostoïevski : un petit déclenchement, et hop ! c’est fini. C’est ça qui me fascine. »
Entretien avec E. Klausner et B. Salino, L'Événement du Jeudi, janvier 1989 
























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